Conférence continentale sur la peine de mort 2-4 juillet 2014, Cotonou, Bénin
Manifeste des organisations de défense des droits humains pour un Protocole à la Charte africaine sur l’abolition de la peine de mort en Afrique
Saluant la tenue de la première Conférence continentale sur la peine de mort organisée, du 2 au 4 juillet 2014, par la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) en coopération avec les autorités béninoises et qui a permit de débattre de la question de la peine de mort en Afrique et de la nécessité que l’Afrique se dote d’un Protocole régional sur l’abolition de la peine de mort ;
Considérant les Résolutions 42 (1999) et 136 (2008) de la CADHP exhortant les États parties à la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples (Charte africaine) à envisager un moratoire sur la peine de mort et à ratifier le deuxième Protocole facultatif au Pacte international se rapportant aux droits civils et politiques visant l’abolition de la peine de mort ;
Considérant l’article 4 de la Charte africaine qui stipule que « la personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne. Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit » et l’article 5 stipulant que « tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment … la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdites » ;
Considérant l’article 3.h de l’Acte Constitutif de l’UA qui lui donne pour objectif de « promouvoir et protéger les droits de l’homme et des peuples conformément à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et aux autres instruments pertinents relatifs aux droits de l’homme » ;
Se félicitant de la tendance régionale et mondiale en faveur de l’abolition en droit et en fait de la peine de mort ;
Constatant en particulier que 17 États membres de l’UA ont aboli la peine de mort en droit1, dont quatre au cours des cinq dernières années et que 99 États dans le monde ont aboli la peine de mort pour tous les crimes, portant à 140 le nombre de pays abolitionnistes en droit ou en pratique;
Rappelant la jurisprudence développée par les Cours et Tribunaux de plusieurs États africains qui constitue une avancée en faveur de l’abolition comme au Malawi (Francis Kafantayeni et Autres c. le Procureur général du Malawi, 2007), en Afrique du Sud (S. v. Makwanyane et autres, 1995), en Ouganda (Procureur général c. Suzanne Kigula et 416 autres, 2009) ;
Soulignant que de nombreuses personnalités africaines ont pris position en faveur de l’abolition de la peine de mort. Rappelant en particulier la déclaration de Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations unies selon laquelle « un État qui représente la société tout entière et a la responsabilité de sa protection peut-il assumer cette responsabilité en se rabaissant au niveau d’un meurtrier en le traitant comme il a traité les autres? La confiscation de la vie est trop absolue, trop irréversible, pour qu’un être humain l’inflige à un autre, même lorsqu’il s’inscrit dans le cadre de processus légaux » ; ou encore celle de Desmond Tutu pour qui « Il n’y a pas de justice en tuant au nom de la justice (…) Il est de notre devoir d’apporter une fin irréversible à cet enfer sur terre pour toutes les personnes concernées (…) L’abolition universelle de la peine de mort est une nécessité absolue.»
Regrettant qu’en 2013, au moins 19 États africains4 aient prononcé des condamnations à mort et que dans au moins 5 d’entre eux des personnes condamnées aient été exécutées ;
Condamnant partout la peine de mort pour tous les crimes et en toutes circonstances, considérant qu’elle n’a aucun effet dissuasif, est irréversible et constitue une atteinte majeure au droit à la vie de toute personne ;
Considérant que la peine de mort constitue une peine et un traitement cruel, inhumain et dégradant, voire une forme de torture, laquelle est internationalement et absolument condamnée ;
Observant que la peine de mort est souvent prononcée au terme de procès inéquitables et qu’elle est fréquemment utilisée de manière arbitraire et discriminatoire, en particulier à l’encontre des groupes les plus vulnérables ou à des fins de répression politique ;
Rappelant les déficiences structurelles du système de justice pénale dans plusieurs États africains qui n’offrent pas aux personnes passibles de la mort les garanties procédurales nécessaires, en violation des dispositions de l’article 7 de la Charte africaine relatives au droit à un procès équitable ;
Regrettant l’instrumentalisation et la désinformation de l’opinion publique concernant l’application de peine de mort observée dans plusieurs États africains ;
Nous, les 78 organisations de défense des droits humains signataires du présent manifeste, soutenons fermement l’adoption d’un Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples sur l’abolition de la peine de mort en Afrique en ce qu’il :
• Démontrerait au monde entier le courage politique des Gouvernements africains sur la question de l’abolition de la peine de mort ;
• Serait conforme à la tendance régionale et mondiale en faveur de l’abolition de la peine de mort ;
• Compléterait, en le renforçant, le système africain de protection des droits humains ;
• Préciserait les moyens juridiques permettant de parvenir à l’abolition de la peine de mort en Afrique ;
• Empêcherait toute possibilité qu’elle soit restaurée dans un État partie au Protocole ;
• Serait un instrument incitatif qui renforcerait le plaidoyer en faveur de l’abolition ;
• Serait un instrument sur lequel pourraient s’appuyer les Gouvernements africains, les Institutions nationales de droits de l’Homme, les avocats, les magistrats, les organisations de la société civile, les médias, les leaders religieux, les chefs traditionnels ou encore les citoyens en faveur de l’abolition de la peine de mort.
Nos organisations appellent par conséquent :
Tous les États membres de l’UA à :
• Soutenir l’adoption, par l’Union africaine, d’un Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples sur l’abolition de la peine de mort en Afrique ;
Les États membres de l’UA qui maintiennent la peine de mort dans leur corps législatif à :
• Observer un moratoire sur les condamnations et les exécutions, comme première étape vers l’abolition de jure de la peine de mort pour tous les crimes, conformément aux Résolutions 42 et 136 de la CADHP ;
• Commuer les condamnations à mort déjà prononcées en des peines de prison selon la gravité des crimes commis, voire réviser les procès lorsque ceux-ci n’ont pas respecté les garanties du droit à un procès équitable ;
• S’abstenir de reprendre les condamnations et les exécutions une fois qu’un moratoire a été instauré ;
• Engager des débats nationaux sur la question de la peine de mort visant à informer et mobiliser l’opinion publique sur la nécessité de l’abolition de la peine de mort ;
• Saisir l’opportunité des processus de révision constitutionnelle en cours dans certains États pour s’engager vers l’abolition de jure de la peine de mort ;
• Ratifier – y compris pour les États abolitionnistes – le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politique visant à l’abolition de la peine de mort ;
• Voter – y compris pour les États abolitionnistes – en faveur de la prochaine Résolution de l’Assemblée générale des Nations unies appelant à l’instauration d’un moratoire sur la peine de mort ;
L’Union africaine et les Communautés économiques régionales africaines à :
• Soutenir la CADHP dans sa mobilisation en faveur de l’abolition de la peine de mort ; • Favoriser l’adoption d’un Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples sur l’abolition de la peine de mort en Afrique ; • Aider à l’organisation de débats nationaux sur la question de la peine de mort visant à informer et sensibiliser l’opinion publique pour éviter qu’elle ne soit instrumentalisée : • Appuyer les initiatives de la société civile en faveur de l’abolition de la peine de mort, au niveau national et régional.
Organisations signataires 1. Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) – Bénin 2. ACAT Burundi 3. ACAT Cameroun 4. ACAT Côte d’Ivoire 5. ACAT Ghana 6. ACAT Liberia 7. ACAT Madagascar 8. ACAT Mali 9. ACAT Niger 10. ACAT République centrafricaine 11. ACAT République démocratique du Congo 12. ACAT République du Congo 13. ACAT Sénégal 14. ACAT Tchad 15. ACAT Togo 16. African Centre for Democracy and Human Rights Studies (ACDHRS) – Gambie 17. African Centre for Justice and Peace Studies (ACJPS) – Soudan 18. Associação Justiça, Paz e Democracia (AJPD) – Angola 19. Amnesty International Bénin – Bénin 20. Association béninoise de lutte contre le racisme, l’ethnocentrisme et le régionalisme (ALCREE) – Bénin 21. Association malienne des droits de l’Homme (AMDH) – Mali 22. Association mauritanienne des droits de l’Homme (AMDH) – Mauritanie 23. Association pour la défense des droits des personnes et libertés publiques (ADL) – Rwanda 24. Centre de recherche en démocratie et développement – Bénin 25. Changement social Bénin – Bénin 26. Coalition béninoise pour l’abolition de la peine de mort – Bénin 27. Coalition béninoise pour la Cour pénale internationale – Bénin 28. Coalition béninoise pour les droits économiques sociaux et culturels – Bénin 29. Coalition mauritanienne contre la peine de mort – Mauritanie 30. Coalition mondiale contre la peine de mort – WCADP 31. Coalition pour une Cour africaine effective (Point focal Bénin) – Bénin 32. Coalition tunisienne contre la peine de mort (CTCPM) – Tunisie 33. Collectif des ligues pour la défense des droits de l’Homme (CLADHO) – Rwanda 34. Comité des journalistes congolais contre la peine de mort – République démocratique du Congo (RDC) 35. Comité des observateurs des droits de l’homme – République démocratique du Congo 36. DITSHWANELO – The Botswana Centre for Human Rights – Botswana 37. Fédération internationale de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture – FIACAT 38. Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme – FIDH 39. Forum Afrique initiative droits de l’Homme et développement (FORAID) – Bénin 40. Foundation for Human Rights Initiative (FHRI) – Ouganda 41. Groupe Lotus (GL) – République démocratique du Congo 42. International Commission of Jurists – ICJ 43. International Commission of Jurists Kenyan Chapter – Kenya 44. Kenya Human Rights Commission (KHRC) – Kenya 45. Lawyers for Human Rights (LHR) – Afrique du Sud 46. Legal and Human Rights Center (LHRC) – Tanzanie 47. Legal Defence & Assistance Project (LEDAP) – Nigeria 48. Legal Resources Foundation Zimbabwe – Zimbabwe 49. Les Mêmes Droits pour Tous (MDT) – Guinée-Conakry 50. Ligue burundaise des droits de l’Homme (Ligue ITEKA) – Burundi 51. Ligue centrafricaine des droits de l’Homme (LCDH) – République centrafricaine 52. Ligue des Électeurs (LE) – République démocratique du Congo 53. Ligue djiboutienne des droits humains (LDDH) – Djibouti 54. Liga Guineense dos Direitos Humanos (LGDH) – Guinée Bissau 55. Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (LIDHO) – Côte d’Ivoire 56. Ligue pour la défense des droits de l’Homme au Bénin (LDDHB) – Bénin 57. Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH) – Sénégal 58. Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH) – Tchad 59. Ligue togolaise des droits de l’Homme (LTDH) – Togo 60. Maison des droits de l’Homme du Cameroun (MDHC) – Cameroun 61. Mouvance des Abolitionnistes du Congo Brazzaville – République du Congo 62. Mouvement Burkinabé des Droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP) – Burkina Faso 63. Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH) – Côte d’Ivoire 64. Ne touchez pas à Caïn 65. Observatoire béninois des droits de l’Homme – Bénin 66. Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH) – République du Congo 67. Organisation pour la compassion des familles en détresse (OCODEFAD) – République centrafricaine 68. Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen (OGDH) – Guinée-Conakry 69. Organisation nationale des droits de l’Homme (ONDH) – Sénégal 70. Pax Christi Uvira – République démocratique du Congo 71. Penal Reform International – PRI 72. Regional Watch for Human Rights (RWHR) – Liberia 73. Reseau Doustourna – Tunisie 74. Rescue Alternatives Liberia (RAL) – Liberia 75. Right to Life Bénin – Bénin 76. Sudan Human Rights Monitor – Soudan 77. Syndicat national des agents de la formation et de l’éducation du Niger (SYNAFEN) – Niger 78. Zimbabwe Human Rights Association (ZimRights) – Zimbabwe